Pendant le siècle dernier, au plus fort de la Grande Dépression, le président Franklin D. Roosevelt a lancé une initiative qui allait révolutionner la vie agricole aux États-Unis. En plus de remettre au travail des milliers de chômeurs, la Loi sur l’électrification rurale adoptée dans le cadre de la Nouvelle Donne a amélioré la qualité de vie des familles rurales en difficulté et accru considérablement la productivité de l’agriculture.
En tant que dirigeants des organisations qui représentent l’ensemble du secteur de l’électricité au Canada, nous estimons que notre pays peut adopter une stratégie similaire pour se redresser après l’effondrement économique brutal provoqué par la pandémie de COVID-19.
S’appuyant sur une analyse du Fonds monétaire international, l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dont le siège est à Paris, a récemment exhorté les gouvernements du monde entier à faire en sorte que leurs efforts de relance économique servent à moderniser leur filière énergétique. En août, Chrystia Freeland, qui devrait reprendre le poste de ministre fédérale des Finances, a indiqué que la relance de l’économie canadienne « doit être verte » et que la décarbonisation « doit en faire partie ».
Notre pays dispose d’un avantage certain. En effet, nous avons déjà la chance de disposer d’une filière de production d’électricité propre : plus de 80 % de notre approvisionnement provient d’installations hydroélectriques, nucléaires, éoliennes, solaires et marines non émettrices. Nos dernières centrales au charbon sont quant à elles en voie d’être abandonnées progressivement.
Pourtant, le Canada se heurte à des obstacles de taille dans la poursuite de ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici 2030 par rapport à celles de 2005 et d’atteinte de la carboneutralité d’ici 2050, comme l’a promis le gouvernement libéral. Selon le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, ces objectifs seront réalisés en grande partie grâce à l’électrification. Actuellement, l’électricité ne représente que 20 % de l’énergie consommée au Canada. Or, nous pouvons augmenter cette proportion en électrifiant les secteurs de l’économie qui dépendent actuellement des combustibles fossiles, notamment les transports, l’industrie et le bâtiment.
Dans son rapport de juin, l’AIE a pressé les gouvernements d’adopter plusieurs mesures stratégiques, notamment accélérer la croissance de l’énergie éolienne et solaire, augmenter les investissements dans le stockage et les petits réacteurs modulaires et maintenir les rôles primordiaux de l’hydroélectricité et de l’énergie nucléaire.
Les nouvelles technologies nous permettront d’assurer une production d’électricité plus distribuée, d’éliminer les déchets dans le réseau, de stocker l’électricité pour en disposer au besoin et d’améliorer le réseau afin qu’il réponde mieux aux besoins des entreprises numériques de pointe et des particuliers. Les gouvernements peuvent soutenir la croissance du parc de véhicules électriques en offrant des mesures incitatives, en investissant dans l’infrastructure de recharge et même en exigeant que ces véhicules représentent un pourcentage réglementé des ventes des constructeurs automobiles. Nous pouvons utiliser l’électricité propre pour produire de l’hydrogène, sans émissions, afin d’alimenter les procédés industriels ainsi que les gros camions et les trains.
En mettant l’accent sur l’efficacité énergétique et en profitant de la baisse continue du coût des technologies novatrices, nous pouvons faire en sorte que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone soit abordable et qu’elle n’impose pas un fardeau aux Canadiens qui pourraient avoir du mal à se remettre des conséquences économiques de la pandémie.
Dans une lettre ouverte publiée le 29 juin, près de 50 chefs d’entreprise ont demandé au gouvernement fédéral de procéder à des « investissements audacieux pour soutenir une relance verte ». Ils ont rappelé que le Canada produit plus d’énergie renouvelable que tout autre pays, à l’exception de la Chine, et qu’il peut accroître cette production afin de stimuler les exportations et devenir un chef de file en matière de technologies novatrices, comme l’hydrogène sans émissions. Compte tenu du leadership exercé par le Canada en matière de production sans émissions, nous avons l’occasion d’accroître le rôle des diverses sources d’électricité et de nous tourner vers des technologies nouvelles et novatrices à mesure que l’électricité prendra plus de place dans notre portefeuille énergétique.
Au moment d’approuver des mesures pour stimuler le recours aux énergies propres, le gouvernement fédéral devrait appliquer certains principes fondamentaux :
- cibler des projets qui peuvent démarrer rapidement ou être accélérés;
- tenir compte de la diversité des marchés de l’électricité au Canada;
- promouvoir les partenariats avec les communautés autochtones et autres communautés locales;
- simplifier ses propres processus réglementaires tout en collaborant avec les provinces pour s’assurer que la réglementation ne fait pas obstacle à l’innovation.
Toutefois, le gouvernement doit également veiller à la santé financière du secteur lorsqu’il réalise des investissements dans une optique de pérennité. Le choc économique a laissé bon nombre d’entreprises et de clients résidentiels dans l’incapacité de payer leurs factures. Le gouvernement peut apporter son aide en compensant les coûts liés à la COVID-19 pris en charge par le secteur et en continuant à soutenir nos clients alors qu’ils sont confrontés à une économie incertaine.
Dans le cadre de sa stratégie d’électrification, Ottawa devra travailler avec les provinces qui réglementent et, dans bien des cas, possèdent les équipements de production et de transport d’électricité. Des projets comme la construction de lignes de transport interprovinciales, qui permettraient de créer un marché régional pour l’énergie propre, exigeront de toute évidence une collaboration accrue entre les gouvernements. Les gouvernements provinciaux, les municipalités, les écoles, les collèges et les universités sont des candidats tout désignés pour investir dans des projets d’efficacité énergétique et d’énergie distribuée qui rapporteront des dividendes pendant de nombreuses années. Des efforts coordonnés s’imposent.
Tous ces changements supposent la participation de travailleurs dotés de compétences différentes qui doivent recevoir une formation actualisée pour les gérer. Les acteurs du secteur devront s’assurer qu’il existe un plan pour recruter et retenir la prochaine génération d’employés pour innover et gérer le réseau du xxie siècle.
Alors que les gouvernements s’engagent dans des dépenses pour relancer l’économie canadienne, les objectifs de décarbonisation à long terme du pays peuvent bénéficier d’un coup de pouce important si nous faisons de l’électricité propre la principale source d’énergie du pays. Bien menée, cette démarche permettra de créer une filière énergétique abordable, résiliente et prête pour l’économie carboneutre de demain.
Texte publié initialement en anglais dans Corporate Knights, le 26 août 2021.